La mission de la Team Ombre priorise sur tout le reste. En m’avançant dans l’œil du public à travers ma carrière de mannequin puis de pilote, je savais qu’il y aurait parfois des choix déchirants à ce niveau; tant de part et d’autre. Pourtant je mettrai toujours mon travail de seconde en premier lieu, même si cela veut dire de me désister de certains contrats parfois bien lucratifs. Aujourd’hui, j’avais prévu un photoshoot à Port Amarrée, mais j’ai prétexté être mal en point pour pouvoir me livrer à mes autres occupations. Afin de passer inaperçue, j’ai dissimulé mon visage derrière mes lunettes fumées et un grand chapeau estival qui correspond bien au lieu de rendez-vous. J’ai laissé mes épaules libres avec un chandail qui retombe sur mes bras, que j’ai accompagné d’un short kaki qui me va à merveille. J’ignore la nature de cette future mission mais il y a de quoi dans mon sac à main pour me changer dans tous les cas. Pour le moment je déambule le long de la plage à la recherche de l’admine Murphy qui m’attend pour notre debriefing. Comme toujours dans des cas semblables, j’attends avec impatience de savoir ce qui sera attendu de moi. J’ai tôt fait de faire mes preuves et je n’en peux plus d’attendre d’avoir ma chance de briller.

Puis je le sens bien, Murphy me teste encore, ce qui est parfaitement légitime. Je viens d’arriver en poste après tout. Il me tarde même de lui montrer de quel bois je me chauffe, bien qu’elle en aille une idée : cette mission n’est pas du tout la première que nous effectuons ensemble bien au contraire. La jolie brunette et moi avons fait équipe à quelques reprises à travers les années et nous avons toujours bien travaillé toutes les deux pour la bonne raison que nous ne nous marchons pas sur les pieds mutuellement. Nous avons une vision semblable et des manières qui concordent. C’est bien pour cette raison que je n’ai pas rechigné me trouver sous ses ordres. On s’entend tout de même que je préférais avoir sa place plutôt que l’inverse.

Je la vois au loin d’ailleurs tourée de ses compagnons, l’Osselait chroma, le Vibraninf, le Zorua et son fameux Flamiou caractéristique. Bilis sautille jusqu’à eux avec un peu plus de calme; même si son désir est bien de chahuter parmi eux il se retient sachant que nous sommes ici pour affaires. Nonchalamment je me pose près de Murphy, lui lançant une œillade ardente, impatiente d’en découdre. Peu importe ce qu’elle va me demander, je suis prête.

«Tu voulais me voir ?» je fais d’un ton trop innocent pour mon sourire en coin.

Je soupire d’aise devant une brise marine qui vient chatouiller mon visage. J’ai toujours adoré la plage et aujourd’hui ne fait pas exception.

«J’espère ne pas t’avoir fait trop attendre, ils me collaient à l’agence, de vrais parasites.» j’oublie de mentionner que j’ai pris un peu de retard aussi en effectuant un tour de piste ou deux avant de me rendre à ma rencontre avec mes agents. «Je suppose qu’on est pas là pour se baigner, alors que puis-je faire pour toi ma chère?»

Pas question de la vouvoyer, pas après avoir sué et saigné toutes les deux lors de nos missions ensemble. Je la regarde avec un air qui doit avoir l’air un peu provocateur, car ainsi je manifeste mon enthousiasme : toujours prête à relever le défi qui m’attend.

Comme elle me semble sérieuse ! L’heure est probablement grave et pourtant j’ai un peu envie de la décoincer, de la faire abandonner cette posture sévère. Seulement alors je saurai qu’elle a parfaitement confiance en tant que partenaire, lorsque Murphy se dévoilera un peu plus. Je la connais ainsi, plutôt renfermée et je ne peux lui en tenir rigueur : nous ne faisons pas partie de cette équipe pour se faire des amis bien au contraire, cependant j’aime à penser que notre appartenance mutuelle à l’organisation de l’Ombre fait de nous en quelque sorte des membres d’une même grande famille. Comme toute famille, elle a son lot de dysfonctions et de conflits, de non-dits et de frustrations, mais aussi je l’espère de complicité. Je ne parviens pas souvent à connecter avec autrui dans la vie réelle; comme si on pouvait décrire mon existence ainsi. Je vis sous les feux de la rampe, bombardée de toutes parts, avec peu souvent l’occasion de m’arrêter. Ce debriefing en est presque une rare occasion. Presque. Ma supérieure a tout de même une mission de la plus haute importance à me confier et je deviens plus sérieuse à mon tour alors qu’elle m’explique de quoi il s’agit.

Pas de jambes à casser aujourd’hui, il s’agit plutôt d’un sauvetage. Une SnatchBall ? Je me réserve bien de demander ce qu’elle contient, car je connais ma place. Ce n’est pas de mes affaires. Je n’apprécie pas particulièrement me retrouver plus bas dans la hiérarchie de mon organisation toutefois j’en adopte les principes fondamentaux. Si Murphy voulait me confier ce que cette fameuse balle contient, elle le ferait. Pour le moment ça n’a pas d’importance pour la mission. Bilis n’a même pas entendu, occupé à s’amuser avec les Pokémon de la jeune femme. Il faudra que je lui fasse un petit topo tout à l’heure. Drôle comment les Pokémon parviennent plus facilement à jeter les masques, tandis que nous conservons les apparences. Puisqu’il le faut.

«Je préfère y aller seule, si on me l’accorde. M’occuper de sbires ne ferait que me ralentir.» mes paroles peuvent sembler un peu prétentieuses, pourtant mon désir d’œuvrer en solo n’est pas inconnu de Murphy. «Le désert est large mais Bilis et moi couvrirons assez de terrain à nous deux avec de l’équipement, par exemple un détecteur de métal ? Nous allons trouver, même si nous devons y passer des jours. J’en fais le serment.»

Je ne prononce pas ces paroles à la légère, ni pour l’impressionner, mais parce que j’en suis convaincue. Nous avons assez bossé ensemble pour s’éviter des promesses inutiles. Ce serment est plutôt envers moi-même, car je veux réussir. Je veux prouver ma place. J’observe la jeune femme avec intensité.

«Merci de m’offrir ma chance.»

Maintenant, à quoi s’attend-elle ? Désire-t-elle m’envoyer en mission sur le champ ou a-t-elle encore quelque chose à me demander ?

«Est-ce tout ce que je peux faire pour toi à l’heure actuelle ?» je demande avec le même sérieux qu’elle m’adresse depuis tout à l’heure.

Peut-être éventuellement réussirai-je à percer sa coquille. Quelque chose me dit toutefois que ce ne sera pas aujourd’hui. Ni même probablement demain. Les relations se construisent avec de la patience, une vertu que je ne suis pas certaine de posséder mais qui s’impose de toute manière. J’ai bien l’intention de rester en position jusqu’à faire mon ascension à mon tour et en attendant j’ai tout mon temps pour convaincre Murphy de ma valeur. Un petit sourire se peint sur mes lèvres, presque provocateur. Résiste, si tu le désires. Je vais bien finir par te prouver que tu n’as pas de raison de douter, jolie brunette. Mon regard s’égare ensuite en direction des vagues. Je suis heureuse au moins qu’on cède à mon caprice de partir seule en expédition. Je ne fais pas confiance à assez d’entre nous, pas complètement du moins, pour me permettre la distraction. Personne pour me ralentir. Hun. J’imagine que Murphy et moi avons cela en commun. Désespère-t-elle à l’idée de devoir partager la flamme du pouvoir avec une seconde telle que moi ? Demain à l’aurore, je serai au désert. J’ai hâte déjà. Même s’il le faudra, je sens que j’aurai du mal à dormir.

«Parfait.» je me contente de dire.

Nous avons tout dit de toute manière, ou du moins est-ce que je crois jusqu’à ce que ma supérieure ne reprenne la parole pour me questionner. Son interrogation me fait aussitôt sourciller, et fidèle à moi-même je laisse un sourire amusé se peindre sur mes lèvres avant de redevenir sérieuse. Elle pourrait avoir l’impression que je me moque d’elle; s’il n’en est rien sa question est parfaitement ridicule à mes yeux.

«Je veux ta place.» je fais avec une brutale honnêteté. Au moins elle aura l’heure juste. «Je baigne dans la Team Ombre depuis toujours, celle-ci coule dans mes veines. Cette organisation est ma famille, elle est ma vie. Je veux la voir menée jusqu’à l’atteinte de ses objectifs, je veux que Rhode nous appartienne et je n’arrêterai jamais jusqu’à ce que ce soit réalisé. Je pense qu’une place d’Admin m’offrirait plus de latitude pour toucher ces objectifs, sauf que je connais ma place et pour le moment elle est sous toi.»

Je le dis sans la moindre animosité, même que le respect brille dans mes prunelles alors que je l’observe.

«Je ne sais pas si c’est ce que tu voulais entendre. Je ne suis pas là pour te faire plaisir mais bien pour faire avance l’organisation. Même si nous devons chuter encore, je n’abandonnerai pas. Tu me connais assez pour savoir que je suis quelque peu obstinée lorsqu’une idée me traverse l’esprit. Et alors toi ? Qu’espères-tu ? Et de moi aussi ? Si tu as quelque chose à dire par rapport à moi, dis-le. Émets tes doutes. Au moins nous aurons l’heure juste et ensuite je pourrai te prouver une bonne fois pour toutes que tu as tort de douter.»

Je l’observe avec beaucoup d’intensité, non pas pour l’impressionner mais pour la jauger moi aussi à ma manière.

Ma langue bien pendue ne plaît pas à tous; j’ai appris à m’en ficher totalement. Si les gens ne savent pas composer avec la vérité en face, ils n’ont qu’à pas demander. Murphy n’est pas une faiblarde du genre, elle ne s’enquiquine pas avec des émotions aussi futiles. Ainsi je n’ai pas beaucoup de crainte de me montrer candide envers elle. À vrai dire si j’aimerais sa place, cela ne signifie en rien que j’ai envie de lui nuire ou de la voir échouer. Bien au contraire. Cependant je sais que ma place un jour serait d’être à la tête de l’équipe, tout comme elle. Tant pis si mon ambition la rebute, mais je ne m’en inquiète pas et avec raison, puisque la jeune femme émet plutôt satisfaction face à ma réponse. J’hoche la tête avec un sourire franc qui dessine des creux au coin de mes yeux. Un troisième admin ? Voilà qui me tenterait bien et qui signifierait un besoin d’administration plus grand pour la Team. Un jour. Un jour nos opérations n’auront plus à se terrer dans l’ombre, un jour on nous adulera pour nos principes. C’est ce qui survient à la fin des histoires, n’est-ce pas ? Ce sont toujours les gentils qui gagnent.

Je n’ai guère le temps de m’attarder à mes fables intérieures cependant. Murphy reprend la parole en disant ne pas douter, et même m’avoir choisie. Pendant un moment je reste coite. J’ai toujours du mal avec l’attention positive qu’on peut m’octroyer, aussi diluée soit-elle dans le discours de ma supérieure. Je ne sais souvent pas comment réagir et cette fois ne fait pas exception. Ainsi ma détermination arrogante se change en une sorte de perplexité silencieuse. Heureusement, Muphy se reprend en ne me ménageant pas encore une fois. Effectivement, ses affaires ne sont pas les miennes, mais il ne coûtait rien de poser la question.

«Okay tigresse, je ne poserai plus de questions.» je fais avec un sourire amusé et un peu provocateur. «Garde tes mystères, ce n’est pas déplaisant à vrai dire. Certains trouvent ça attirant.»

Je ne spécifie simplement pas si c’est mon cas ou non. Comme quoi elle n’est pas la seule à faire des mystères.

«Puis oui, cette balle sera tienne. Je fonctionne mieux sous pression de toute manière. Le dernier test tu dis ? Exactement le genre d’adrénaline dont j’ai besoin.»

En attendant, je devrai tuer mon impatience en m’occupant. Pas aisé. Les soirs avant les missions, je deviens insatiable, ainsi il me vaut mieux éviter mon cercle habituel de connaissances qui pourraient trouver mon comportement suspect. Je lève les yeux vers la brunette, animée d’une drôle d’idée. Je m’attends à un refus, si c’est le cas tant pis. Je trouverai autre chose.

«Ça te dirait de passer la soirée avec moi en attendant ? J’vais pas dormir je le sens, j’ai du mal à tenir en place. Sur cette plage il y a pas mal de Pokémon sauvages, pour s’entraîner. Puis il y a de petits stands sympas aussi si la faim nous prend.»

C’est maladroit, mais tant pis. Si nous devons devenir partenaires efficaces, je pense que de raffermir nos liens pourrait être bénéfique. À voir si la brunette en pense autant.

Pas dans ses habitudes hein ? Pourquoi je ne suis pas surprise ? La frigide Murphy accepte tout de même de passer du temps en ma compagnie et je me contente d’hocher de la tête à son accord pour ne pas trop l’effrayer : tout comme moi j’ai l’impression que si je forçais les choses, elle ne resterait pas longtemps. Je fais donc signe à Bilis de me rejoindre, ce qu’il fait en deux-trois bonds grâcieux (ou pas), laissant les compagnons de l’admin tranquilles. Cet entraînement je l’espère se déroulera pour le mieux car j’aurais un peu honte si nous devions perdre la face devant un Pokémon ou un autre.

«Très bien alors, suis-moi.»

Je repense à ses mots, à cette récompense qu’elle a mentionnée. Il y a peu de choses auxquelles je pourrais penser pour l’instant qui pourraient servir cette définition, rien sinon un Pokémon Obscur. J’en rêve depuis toujours et cette ambition n’est pas secrète. Néanmoins je préfère ne pas questionner la jeune femme. Moins j’en sais, mieux ce sera. Car si… si je devais échouer je ne veux pas vivre avec la déception d’être passée à côté. Je prends donc une grande inspiration pour chasser cette idée de mon esprit. Je dois retrouver cette balle, coûte que coûte. Je ne flancherai pas. Je ne peux pas flancher.

«Il faudrait que je tente le coup un jour, pour les Arènes. Une fois que Bilis aura évolué et que j’aurai quelques partenaires supplémentaires. Je suis certaine que tu donnes beaucoup de fil à retordre à tes challengers.»

Probablement un peu plus que le Zorua avec le Gobou actuellement, je suppose. Je n’ose relever les mésaventures du Pokémon, sachant que rien ne m’assure que mon cher Flambino performera davantage. Je sursaute d’un coup devant l’approche soudaine d’un Pokémon, balayé par le vent. Tout à coup il se retrouve sur ma tête, jetant de petits cris adorables qui me font sourciller. Moi qui voulais avoir l’air dure devant Murphy, avec ce Pokémon floral sur le crâne, c’est raté. Bilis le pointe du doigt et lui parle, comme pour lui demander (pas si gentiment), de descendre de là.

«C’quoi ce truc ? Un Granivol ?»

Une nouvelle brise l’emporte un peu plus loin, le faisant flotter jusque dans le sable. Pourtant, le petit s’obstine à revenir vers moi, toujours avec son sourire qui manque un peu d’intelligence. Je me souviens que son évolution, Cotovol, est particulièrement rapide au vu de sa légèreté. Mais il faut vraiment passer par la case humiliante d’entraîner un Granivol avant d’y parvenir ? Hésitante, j’observe le Pokémon sans trop savoir quoi faire. Puis je lève les yeux vers Murphy. Qu’en pense la princesse des ténèbres ?

J’apprécie toute forme de compétition, c’est bien connu. Du coup la perspective des Arènes a quelque chose d’alléchant à mes yeux. D’entre nous deux, Murphy est de loin la meilleure dresseuse des deux. Moi je… n’ai simplement pas fait énormément d’efforts en ce sens pour l’instant, non par paresse mais par manque d’opportunité. Il y avait déjà tout le reste à perfectionner; ainsi les leçons de dressage et les entraînements sont passés au second plan. À mesure que les années passent cependant, Bilis devient de plus en plus insatiable, énergique (trop), peut-être lui manque-t-il sa propre forme de défi à lui aussi. Les Arènes pour le moment me semblent prématurées, pourquoi pas ne pas débuter en le faisant tout simplement évoluer ? Il s’agit déjà d’un défi intéressant pour lui et pour moi. Je ne lui en piperai pas mot pour le moment, car je sais ce qu’il en ferait : il deviendrait trop agité à chaque combat, trop impatient, pour véritablement s’offrir une chance. Ainsi je garde cette idée enfouie en moi le temps de la réaliser. Un petit entraînement le long des plages ne peut pas faire de tort en ce sens.

«Si tu t’y risques, à n’en pas douter je vais suivre ta progression. Je suis certaine que ce serait un spectacle à voir.» je fais avec un petit sourire en coin. «Tu as des techniques spécifiques pour entraîner tes Pokémon ? Bilis et moi on manque tout de même d’expérience en ce sens. Nous avons d’autres talents.»

J’offre une œillade amusée vers Murphy en disant cela, laissant encore une fois planer le mystère sur ce que je veux entendre par ces-dits talents. Il faut dire qu’il n’en manque pas à mon attirail, cependant je dirais plutôt qu’il s’agit de travail acharné qui, au fil du temps, est devenu des compétences parfaitement utiles. Je n’ai pas eu ces notes excellentes à l’école pour rien, je ne suis pas grimpée dans une carrière de mannequin pour du vent et surtout j’ai travaillé dur pour ma place de pilote. Je reporte mon attention toutefois sur le Granivol qui, malgré les tenaces assauts du vent, continue son chemin jusqu’à moi. La femelle ne lâche pas le morceau; de toute évidence elle a du plomb dans le crâne. Murphy semble un peu surprise que je la considère, et je décide de m’expliquer, non sans une certaine gêne.

«Hum… Granivol est un Pokémon faible et pathétique. Or, celui-ci montre une certaine… force de caractère. Puis son évolution est délicieusement rapide, et j’adore les Pokémon qui ont de la vitesse à revendre. Je… je ne sais pas trop.»

Voilà que la Granivol se met à grimper le long de ma jambe, en poussant toujours de petits cris adorables… Arceus la honte. Non vraiment je dois me débarrasser de ce truc. C’est la conclusion à laquelle j’en suis venue quand la créature active d’elle-même une balle vide à ma ceinture et s’y engouffre sans demander son reste. Le déclic se fait quelques secondes plus tard, confirmant la capture.

«Bon, on dirait qu’elle a décidé pour moi.» je fais à la fois un peu embarrassée mais aussi impressionnée par sa ténacité.

Elle me fait penser à moi mine de rien.