Il fait nuit noire près du fleuve. Jamais le chemin de retour ne m’a paru aussi long. Au volant d’une voiture que je n’utilise qu’en mission, je respire lentement comme pour me faire aux événements de la journée. Comme pour me faire à l’idée, à la pensée que… Non. Dans ma poche repose une preuve irréfutable dont je ne connais pas encore totalement la signification mais dont je peux me faire une bonne idée. Une très bonne idée. Myrin, anciennement admin au sein de la Team Ombre, a perdu la vie. On a tenté de se débarrasser de son corps, mais mal, et à présent il a été retrouvé heureusement sans les précieuses identités qu’il restait sur lui. Le travail a été mal effectué et je n’ai pas eu la chance de réparer les torts de l’amateur qui a fait le coup… car je suppose qu’il s’agissait d’un des nôtres n’est-ce pas ? Le traite était-il vraiment l’ancien admin ? Tant d’idées se bousculent dans ma tête, et avec elles une peur que je ne m’explique pas et qui pourtant résonne dans mon esprit : suis-je la prochaine sur la liste ? Ai-je découvert quelque chose que je n’aurais dû ? Devrais-je dévoiler ma trouvaille ? Je peste et jure à nouveau en me garant sur le bord de la route, là où personne ne me trouvera, pour réfléchir à ce qui vient de se produire. Afin de laisser sa chance à mes Pokémon de dégourdir leurs jambes, je les libère tous, expirant longuement.

Tous les quatre m’observent. Comme s’ils sentaient la tension qui m’habite. Appuyée contre la voiture, les bras croisés, j’essaie de me calmer et de résister à la tentation d’appeler ma supérieure. Malgré le bon temps que nous avons passé Murphy et moi sur la plage hier, je ne sais pas si je peux lui offrir toute ma confiance, pas dans ce cas-ci. Je me suis contentée d’un texto rapide pour lui apprendre la réussite de la mission. Demain matin j’en saurai un peu plus sur ma récompense, mon propre Pokémon Obscur à ne pas en douter. Je soupire. Ilaw se frotte les yeux, tout juste tirée du sommeil, tandis que Ulan et Bilis se disputent déjà, sous l’œil peu impressionné de Daigdig. Celui-ci d’ailleurs sursaute d’un coup, probablement en sentant l’approche d’un Pokémon sauvage. Je me félicite une fois de plus pour sa capture, qui sera probablement fort utile lors de mes missions. Capable de sentir les vibrations dans le sol, il m’évitera de me faire surprendre… un peu comme tout à l’heure.

C’est un petit insecte insignifiant qui se présente à nous, un Carabing. Moindre moitié d’un duo légendaire, il s’avance d’une démarche maladroite en direction d’Ilaw. Aussitôt, la petite femelle voit sa curiosité piquée : malgré la fatigue elle se tourne vers lui et entreprend de jouer avec lui à la manière d’un chaton joueur. Le Carabing ne semble pas très amusé de ses jeux et tente de la calmer avec une belle attaque en plein pif, heureusement la petite Evoli ne semble pas trop blessée et reprend ses morsures avec innocence. Dire qu’un jour elle sera une grande Voltali… Il serait peut-être grand temps que je la forme convenablement. Je jette un regard à Bilis afin qu’il la mentore. Désormais évolué, il pourra certainement lui montrer quelques trucs ou deux. Je me penche vers la petite, tandis que le Crabing fuit ce combat qui au final n’en était pas un.

«Ilaw, ton entraînement débute cette nuit. Je vais avoir besoin de tout le monde au sommet de sa forme. Venez.»

La petite Evoli première m’observe drôlement, comme si l’idée lui paraissait farfelue. Je ne démords pas devant son étonnement. Pour sa part, Bilis hoche la tête avec une sorte de gravité que je ne lui connaissais pas. Est-ce son évolution récente qui le rend ainsi ? Le lapin a évolué lors de notre fuite, quelques heures plus tôt, tandis que nous tâchions de rester discrets pour éviter d’être surpris par les passants. Son évolution, en plus de tout le reste, me trouble énormément. J’ai l’impression que nous avons franchi une étape dans notre évolution tous les deux. Je suis pour le moment sans repères, incertaine sur quel pied danser. Tout ce que je sais c’est que nous devons aller de l’avant, nous devons devenir plus forts puisque les circonstances le demanderont assurément. Je marche donc résolument en direction du fleuve, abandonnant la voiture sur le côté de la route. Ainsi garée, elle ne devrait pas trop attirer l’attention.

Au loin, une lueur soudain s’allume et je sursaute, aussitôt sur mes gardes. J’ignore quelle est la nature de cette chose, si seulement elle est d’origine humaine ou non. Néanmoins une étude plus élaborée de cette lumière nous dévoile qu’il s’agit en fait d’un Pokémon, un Lumivole si je ne m’abuse. Un Pokémon nocturne tout à fait banal du coin de ce que j’en comprends, et une cible parfaite pour entraîner davantage la petite Evoli. Je débute par elle car d’entre tous mes compagnons, elle est de loin la plus faible. Je veux montrer aux autres un exemple : même s’ils sont plus puissants ce n’est pas une raison pour se reposer sur leurs lauriers. Ils auront leur tour, eux aussi. L’Evoli a compris mon signe et, un peu hésitante, se place devant moi. Rapidement, son enthousiasme habituel la gagne et elle saute sur son adversaire pour le mordre, cette fois avec bien plus de conviction. Je souris, satisfaite de cette attaque qui a apeuré le Lumivole. Semer la terreur dans le cœur de son ennemi, voilà qui est parfait pour débuter ce combat.

Tout est encore à faire pour le Lumivole un peu surpris par cette attaque soudaine. Il ne me paraît pas bien agressif mais se trouvait sur notre chemin alors que nous projetions de nous entraîner. C’est donc tant pis pour lui. L’Evoli s’apprête à attaquer de nouveau et se place même position d’attaque mais l’autre décide de fuir. J’indique à la petite de poursuivre le Pokémon insecte mais c’est trop tard, il a disparu quelque part dans les buissons. Tant pis. Ce n’était pas le bon adversaire pour Ilaw. Je la siffle à mes côtés et elle arrive toujours en jetant sur moi un regard un peu incertain face à mon attitude autoritaire. Je l’ai toujours laissée jouer car elle est bien mignonne, mais l’heure de fournir des résultats est arrivée.

«Très belle Morsure, cependant il va falloir augmenter la puissance, surtout contre un adversaire un peu costaud comme ce Lumivole. Tu auras ta chance contre un autre. Vous deux, tenez vous prêts vous aussi.»

Je désigne la Mustébouée qui jusque là regarde les tentatives peu convaincantes de sa collègue avec mépris. Daigdig pour sa part demeure impassible : l’idée de combattre ne semble pas le troubler outre mesure. Je pense que le désert l’a forgé justement pour combattre souvent, et s’il est probablement un moins bon batailleur que Ulan, il se débrouille fort bien, bien assez pour donner du fil à retordre à Bilis tout à l’heure. Finalement, l’adversaire rêvé de l’Evoli se manifeste : un Férosinge. Ces Pokémon agressifs sont reconnus pour leur mauvais caractère. Si Ilaw peut y goûter quelque peu, alors elle prendra de la belle expérience.

«Parfait, voilà ton prochain adversaire, Ilaw. Utilise ton Météores !»

Météores est une attaque qu’elle maîtrise moins bien habituellement et c’est justement pour cette raison que je l’ai choisie. Je veux voir comment elle se débrouille devant un nouveau défi. Impassible, je scrute ses mouvements, prête à intervenir si je remarque une erreur.

Je peux sentir que la petite, pas du tout nerveuse, se concentre de toutes ses forces. Un sourire, le premier ce soir, se dessine contre mes lèvres avec fierté : même si le combat est plus un jeu pour elle habituellement, elle se prête à l’exercice de belle façon. Les étoiles se forment tout autour d’elle, illuminant les alentours et faisant redresser la tête à la fière Ulan. Puis d’un coup, la petite Evoli relâche ses étoiles en direction de sa victime, qui laisse lui échapper un cri pathétique de douleur. Aucune résistance, il tombe K.O. d’un seul coup, venant couronner la championne de ce combat. La petite Evoli se retourne vivement vers moi comme pour chercher mon approbation et je lui offre avec un petit sourire satisfait. Elle prend de l’expérience. Puis quel Météores ! Il a laissé même la Mustébouée bouche bée ! Bilis s’empresse d’aller la féliciter avec son entrain habituel, et la petite lui offre un câlin ému.

C’est alors que cette effusion d’affection s’achève sur un cri que nous entendons au loin. Incapable d’y voir clair par cette noirceur, je ne sais quoi penser de ce cri. Heureusement, son auteur ne se fait pas attendre pour se manifester. Il s’agit d’un Machoc, lui aussi d’allure peu puissant, qui se jette sur son ami K.O., le Férosinge. Oups. Il le prend dans ses bras comme pour lui donner un câlin et s’assurer qu’il aille bien. Il n’est que sonné, mais le petit n’entend pas de cette oreille. Il est furieux du sort que nous avons fait subir au singe au nez de cochon. Je sourcille devant cette réaction excessive et tente de raisonner le nouveau venu.

«Allons ça va, il nous a attaqué aussi tu sais, il a simplement raté son coup… et pas nous. Ce n’est pas notre faute si ton ami est faible. Aller, écarte-toi ou tu subiras le même sort. Mon amie Evoli ici présente a besoin d’exercice.»

Encore plus furieux face à mes mots, il se redresse après avoir reposé son ami sonné dans l’herbe. Il jette sur nous un regard brillant d’animosité. Oh bien. Tant pis hein ? Je fais signe à Ilaw qui, chaude de sa performance, enchaîne un autre magnifique Météores. Le Machoc reçoit cette jolie pluie d’étoiles en plein dans la tronche, mais cela ne le fait pas reculer pour autant. Il est ma foi très décidé à venger son ami, mais son attaque échoue avant même d’avoir touché l’Evoli. Ce Pokémon diurne n’y voit pas très bien et il trébuche lamentablement.

«Relève-toi, Machoc.» je fais patiemment.

Même si je ne lui dois rien, je veux quand même le traiter avec respect. Il sait son adversaire trop fort mais combat tout de même pour l’honneur de son ami. Il a du chien ce petit humanoïde, ce qui me fait aussitôt reconsidérer mon attitude pour devenir plus sérieuse.

Après une hésitation, le petit Machoc se relève, et attaque cette fois de manière convaincante. L’Evoli émet un petit cri de douleur en se reculant vivement. Je crois que l’attaque l’a davantage saisie plutôt que de véritablement lui causer de la souffrance. Dans tous les cas, sa détermination se change en une profonde concentration alors qu’elle saute sur son adversaire avec une Morsure parfaitement bien placée. Bientôt, le petit Machoc rejoint son ami le Férosinge sur le sol. Ce dernier en profite pour se réveiller, constater que son ami est aussi mal en point que lui, puis l’attraper par l’épaule pour fuir avec lui. Je les observe partir sans trop de remords; ainsi va la vie. Pour ce qui est de la petite Ilaw, elle progresse bien, ce qui m’indique qu’il est temps de poursuivre. Arrêter maintenant serait insensé. Ulan, désormais silencieuse, semble attendre son tour avec impatience. Je lui adresse un bref regard avant de faire signe à mes compagnons de me suivre dans notre descente en direction du fleuve.