Le sens de l’orientation fait partie des compétences qui ne s’acquièrent qu’au fil du temps, grâce à une expérimentation candide et calculée du monde. En prenant en compte les moyens habituels d’obtention d’une telle aptitude, il n’est guère surprenant de découvrir que Bailey Warren en est absolument dépourvu. Son vécu l’a tenu enraciné au même quartier pendant presque toute sa vie, là où il connaissait chaque trottoir, chaque coin de rue et chaque immeuble. Au cœur d’une montagne sauvage dans une région encore pour lui totalement étrangère, il est sans le moindre repères et la boussole que sa fille lui a remis de l’aide beaucoup à se repérer. Le Nord ? Le Sud? Ces notions ne font simplement aucun sens à ses yeux, toutefois la foi habituelle qu’il porte en toutes choses le porte à poursuivre son chemin sans trop s’inquiéter : Ilona et lui finiront bien par retrouver leur chemin lorsqu’ils en auront envie. Pour le moment cette petite excursion le rafraîchit bien de la grande cité où il a vécu jusqu’à tout récemment. Il ne s’imaginait pas que la nature de Rhode aurait tant à offrir et c’est le cœur bien léger qu’il parcoure ses sentiers, avec la meilleure compagnie possible.

Ilona s’éloigne régulièrement de lui, Rosalind sur les talons, pour aller observer une fleur, un rocher, un arbre ou un Pokémon sauvage passant par là. La Delcatty la surveille avec une attention maternelle et enfantine tout à la fois; même si elle ne laisserait jamais un danger menacer sa protégée, elle se prête à son jeu de la découverte avec le même enthousiasme. L’enfant de neuf ans redresse la tête régulièrement vers son père pour lui faire part de ses commentaires ou de ses connaissances : déjà Ilona démontre une facilité à l’école qui réchauffe le cœur de son géniteur. Lui-même n’a jamais eu beaucoup de succès dans le monde scolaire même s’il ne manque pas d’intelligence. Heureusement la jeune fille n’a pas trop hérité de ses difficultés d’apprentissage. À un moment, la petite pointe une faille dans les montagnes.

«Là, papa ! On dirait un Sonistrelle !»

Bailey doit reconnaître qu’elle a raison. Il s’approche et tous deux observent curieusement le Pokémon dont le vol semble être troublé : il volète en rond en poussant de petits cris affolés. L’infirmier trouve ce comportement étrange et se demande si le pauvre n’est pas blessé. Il fait donc signe à l’enfant de s’approcher, sans trop se méfier : il veut apprendre à sa fille à ne pas avoir la crainte des Pokémon car ceux-ci sont souvent mal compris. À mi-chemin, Bailey a réalisé ce qui cloche. Ce n’est pas la chauve-souris qui se trouve mal en point mais ce qu’il interprète comme étant sa dresseuse. Il trottine jusqu’à celle-ci, toujours en transportant avec lui son aura de calme. Sa voix de ténor englobe la pauvre jeune femme.

«Vous êtes coincée. Je peux peut-être vous aider. Curie ? Voici ma Gobou. Elle pourrait enduire votre jambe d’un peu de boue afin de l’aider à glisser. Vous pourrez prendre appui sur moi et je vous remonterai doucement.»

La Gobou s’est approchée de la jambe de la jeune femme, attendant son accord, levant sur elle un regard compatissant, voir sympathisant… des larmes ont envahi ses prunelles. Elle a visiblement mal pour la brunette. Petit cœur sensible va. Pour sa part, Rosalind reste auprès d’Ilona, qui ne peut s’empêcher d’ajouter :

«Vous inquiétez pas, m’dame, mon père va vous sortir de là. Rosa et moi on peut chanter pour vous distraire si vous voulez !»

Ilona, depuis l’acquisition récente de la Delcatty comme nouveau membre de la famille, s’est découvert une passion grandissante et passionnée pour les Pokémon félins. Son ambition la mène déjà dans de douces utopies, trempées d’innocence : elle désirerait en avoir toute une panoplie plus tard, lorsqu’elle sera chanteuse, actrice, Coordinatrice ou quelque métier lui permettant de s’offrir en spectacle. L’indécision fait partie de son quotidien, heureusement son jeune âge lui pardonne tout à fait ce lunatisme. Ainsi, en voyant Loki la Psystigri qui s’efforce bravement à aider sa dresseuse à l’aide de ses pouvoirs psychiques, la jeune fille doit se contenir pour ne pas la caresser. Son père l’en interdirait : il s’agit d’un Pokémon au travail après tout. Elle se tient donc tranquille à observer la scène, silencieuse malgré sa proposition de chanter. Rosalind l’imite, intimidée malgré elle par la scène. Elle suit des yeux les actions de son compagnon le Gobou qui induit la jambe coincée d’un peu de boue bien fraîche. Bailey n’espère pas de miracles, mais grâce à leurs efforts combinés ils finiront bien par sortir l’étrangère de sa mauvaise posture. D’ailleurs c’est drôle comme elle lui semble un peu familière, peut-être une cliente du Centre Pokémon ?

Il n’est pas là pour l’admirer de toute manière. Avec une douce fermeté, il attrape la jeune femme à la taille et encadre solidement ses épaules. Il la redresse avec précaution, tâchant d’éviter d’entailler la peau si ce n’est pas déjà fait. Les efforts combinés que tous les partis portent leurs fruits et bientôt la jeune femme est sortie de son mauvais pas. Bailey la dépose délicatement sur le sol et fait signe à Curie à nouveau. Il est temps de nettoyer la plaie afin de constater les dommages potentiels.

«Mon nom est Bailey, je suis infirmier Pokémon. Ce n’est peut-être pas la même chose, mais je sais tout de même prodiguer des premiers soins de base. Curie va utiliser son Vibraqua pour bien nettoyer votre jambe, histoire de voir si vous êtes blessée. Cela pourrait piquer quelque peu. Arrivez-vous à bouger votre jambe ?»

Ilona, pendant que son père traite la patiente, va en direction de la Pyroli et de la Psystigri, dont elle approche les doigts en guise d’offrande. Son père remarque son comportement et la reprend d’un ton tranquille.

«Ilona, as-tu demandé la permission ? Ce n’est pas vraiment le moment.»

«Oui d’accord, désolée…»

Son œil louche constamment sur le petit chat psychique tandis que son père procède à son examen.

L’attitude tranquille de Bailey ne change pas, pourtant le soulagement l’affecte sans paraître. Son cœur généreux aurait souffert de savoir la jeune femme mal en point; il semblerait que pour la majorité elle s’en sorte plutôt bien. Il subsiste simplement un peu d’inquiétude au niveau du genou, dont l’étrangère se plaint, mais tant que rien n’est cassé elle devrait s’en sortir avec du froid et du repos. Le jeune homme termine donc son examen et soupire un instant. La pauvre aura du mal à se déplacer et ce qu’il a à lui apprendre ne lui fera probablement pas plaisir.

«Rien ne semble cassé, ça c’est la bonne nouvelle, Charlie. Par contre, je vais devoir désinfecter cette plaie et la couvrir pour éviter les risques d’infection. Puis il y a un peu d’enflure autour du genou, il faudrait éviter de marcher dessus le plus possible.»

Bailey farfouille son sac, sous l’œil attentif de Rosalind. La minette lui pointe l’onguent qu’il cherchait et il la remercie d’une brève caresse contre sa tête. La Delcatty ronronne de joie avant de revenir vers Ilona, se postant près d’elle pour la protéger de maux invisibles. Rosa prend son rôle de protectrice très au sérieux après tout. L’infirmier s’occupe de désinfecter la plaie puis d’apposer délicatement l’onguent avant d’entourer la jambe d’un bandage frais et propre.

«Il faudra probablement des examens plus poussés pour déterminer l’état réel du genou mais en attendant il faudra trouver une façon sécuritaire de redescendre la montagne. Ilona et moi pouvons vous aider.»

Tant pis pour leur petite sortie, le bien-être de cette jeune femme blessée est plus important après tout. Le soigneur n’a pas l’intention de la laisser à son sort, bien au contraire. Avec un sourire désolé, il lui offre son bras, offrant de servir de béquille. Ce sera un peu gênant en tant qu’étrangers, mais Bailey ne se formalise pas pour ce genre de choses. Il veut simplement amener la brunette en sécurité.

Bailey offre un sourire désolé à la jeune femme lorsqu’elle déclare sa balade terminée; comme s’il avait la moindre implication dans cet événement désolant. Le jeune homme ne peut s’empêcher d’être déçu pour elle bien avant lui. Il n’y a que peu de choses auxquelles il tient trop pour ne pas faire passer les besoins des autres avant les siens. Son côté pragmatique le rassure à ce sujet : il aura d’autres occasions d’explorer la montagne en compagnie de sa fille, après tout ils ne font que débarquer à Rhode et pourront passer tout leur temps à la découverte de leur nouveau chez soi. L’infirmier éprouve toutefois quelque difficulté à appliquer cette logique à Charlie et porte sur lui le fardeau de sa déception.

«Mais madame, on ne peut pas vous laisser ici toute seule ! Benjamin dans ma classe il a dit qu’il y a des prédateurs dans les environs. Puis votre Psystigri va se fatiguer s’il vous traîne pendant tout le chemin !»

Bailey ne pourrait être plus fière des réflexions de sa fille, si semblables aux siennes. Ilona peut avoir ses moments de caprice, toutefois elle est pourvue du même cœur généreux que son paternel. Aussi, elle a un côté un peu pot de colle, et maintenant qu’elle a l’attention d’une étrangère elle ne voudrait certainement pas se la voir retirée.

«Écoutez, je ne veux pas vous rendre mal à l’aise, mais je pense qu’Ilona a raison, ça nous fera plaisir de vous accompagner.»

Avec un gentil sourire, l’homme lui présente à nouveau son bras, tout en sursautant en sentant l’approche d’un Pokémon. Un d’entre eux se dissimule non loin, dans les buissons de la montagne, et les épie à n’en pas douter. Loin de se laisser impressionner, l’infirmier désigne l’emplacement à la brunette.

«Vous voyez ? Plein de prédateurs.» fait-il avec un sourire amusé vers la jeune femme, reprenant les paroles un peu exagérées de sa fille.

Curie toutefois réagit fortement à la nouvelle d’un Pokémon dans les parages et se faufile devant les jambes de son dresseur en tremblant, attentive aux moindres bruits. Bailey la rassure d’une caresse et laisse entendre un léger rire tendre à l’intention de son amie. La Gobou sursaute à nouveau, cette fois devant un cri de la petite fille, qui pointe l'étrangère tout à coup.

«Je viens de vous reconnaître ! Vous êtes la pilote de course Charlie Spin... quelque chose !»

Ilona se passionne pour les magasines de vedettes depuis quelques mois, et ce particulièrement depuis leur arrivée en cette nouvelle région. Comme si, pour s’accommoder de ce nouvel environnement, il lui fallait tout connaître de ceux qui soulèvent les passions par leurs talents. Lentement, la gamine prend le chemin de l’adolescence et avec ce changement un désir de découverte animé. C’est donc l’œil brillant que la petite observe l’aînée à cet instant, sous l’œil mi-amusé de son père. Contrairement à elle, Bailey n’en a que faire qu’elle soit une pilote de course populaire de la région. Il n’a jamais compris l’engouement autour des vedettes; la preuve il s’est lié d’amitié avec une sans en faire trop d’histoires. Il espère toutefois que cette réalisation ne viendra pas importuner d’autant plus leur patiente, qui passe déjà une bien mauvaise journée. Heureusement, Charlie ne se départit pas de sa chaleur, même qu’elle propose une boisson chaude que le jeune homme ne pourrait refuser.

«C’est une bonne idée pour la boisson chaude, mais vous n’avez pas à me l’offrir, il me fait plaisir de vous aider et je n’attends rien en retour.»

Bailey a parfois ce sentiment que la gentillesse se perd et qu’il faut toujours la repayer d’une manière ou d’une autre. Ce n’est probablement pas la pensée de son interlocutrice, toutefois l’infirmier se désole quand même qu’elle se sente obligé envers lui. Il n’allait tout de même pas la laisser dans son trou, n’est-ce pas ? C’est drôle tout de même, à la voir le jeune homme n’aurait jamais douté qu’elle puisse être une athlète de GPR1, comme quoi on en découvre tous les jours. Il aime bien les jolies bagnoles, lui, mais il n’a jamais regardé les courses. Peut-être que cela plairait à Ilona un jour, qui sait. La petite a détourné son attention un moment sur le combat du Pokémon de la dame avec un Zébibron avant de la reporter sur l’étrangère.

«C’est vraiment trop cool ! Vous devez m’amener dans votre voiture hein !»

«Ilona…»

Clairement, la jeune fille n’a pas la langue dans sa poche et ne se gêne pas pour demander ce qui lui passe par la tête. Son père offre un sourire gêné à la demoiselle, tandis que la gamine l’ignore pour passer au-devant, poursuivant Rosalind qui semble être d’humeur joueuse.

«Nous aussi on doit combattre papa !»

Elle a déjà oublié sa demande, ce qui tire un nouveau sourire amusé à son père. Il glousse doucement avant de s’adresser à Charlie.

«Ma fille passe d’une chose à l’autre très rapidement comme vous pouvez voir. J’espère que ne vous importune pas trop.»

«Papa, regarde, j’ai trouvé un Tic !»

Finalement, il y aura peut-être ce combat finalement, puisque le Pokémon semble hostile, tentant d’impressionner la Delcatty en roulant sur lui-même.