La nervosité du jeune homme ne se sera pas dissipée; pourtant l’olive tranquille de ses prunelles ne s’en trouve pas plus troublé. De petits gestes ou quelque parole précipitée auront peut-être pu trahir le fond réel de sa pensée, sinon sa chaleur et sa paisibilité naturelles en seront demeuré inchangées. Bailey n’a pas l’habitude de s’improviser mentor, à l’exception faite bien entendu de ses responsabilités de parent qui l’amènent souvent à emprunter ce rôle. Dans le monde professionnel toutefois, il se juge (un peu trop sévèrement) encore bien démuni et avide d’apprendre. Minimisant comme à son habitude ses aptitudes pourtant bien réelles dans le monde des soins aux Pokémon, il ne s’était jamais imaginé pouvoir en quelque sorte enseigner à autrui. C’est plein d’humilité qu’il a accepté aujourd’hui de recevoir une certaine Willow, soigneuse de la Station Service curieuse d’en apprendre davantage sur les techniques utilisées au cœur de sa clinique privée en physiothérapie. Les deux jeunes gens auront donc passé la journée ensemble, sous la tutelle de Bailey. Dans une ambiance décontractée, le jeune homme a présenté à sa pupille d’un jour son quotidien à la clinique. Il lui semble avoir parlé toute la journée (de sa perception du moins, lui l’éternel taciturne). À présent il espère avoir un peu plus de temps à consacrer à la discussion, autant pour apprendre à mieux connaître cette Willow tout en accueillant ses potentielles questions et commentaires sur les apprentissages de la journée.

Pour ce faire, une balade dans les landes non loin de Samagard lui a semblé approprié. L’infirmier préfère largement les rencontres en nature que les discussions dans son petit cabinet. Son petit Phanpy, Newton, l’accompagne, ainsi bien sûr que sa fidèle Curie la Gobou. Tous deux trottinent à la suite de leur dresseur.

«J’espère que je ne vous ai pas trop ennuyé de mes explications aujourd’hui, Willow. Je n’ai pas exactement l’habitude d’expliquer ce que je fais à quelqu’un.»

Somme toute, cette expérience aura été formatrice pour lui aussi. Il doit avouer avoir aimé se montrer pédagogue; peut-être aimerait-il le faire davantage lorsqu’il aura l’assurance de sa propre compétence, compétence suffisante pour l’enseigner à d’autres. Si un jour cette assurance vient, ce qui, connaissant son caractère, n’est pas prêt de survenir.

«Vous êtes soigneuse depuis longtemps?» s’avance-t-il, sentant qu’il serait mieux pour lui de tenter de faire la conversation plutôt que de s’enfermer dans son habituel mutisme.

Ce n’est pas que Bailey n’apprécie pas la conversation; seulement il possède d’autres talents que celui-ci. Sa simplicité se manifeste à travers sa manière de parler. Il ne trouve souvent pas grand-chose à dire, ou s’efforce de le faire de peu de mots. Cela peut rendre ses instants avec autrui un peu compliqués, surtout lorsque la personne en face éprouve des difficultés semblables. En ce sens, le jeune homme tente toujours de faire des efforts, car loin de lui l’idée de rendre les autres mal à l’aise avec sa timidité naturelle. Pour s’encourager, l’infirmier perd son regard dans l’immensité des landes. Il décèle déjà beaucoup de vie dans les alentours, peut-être se feront-ils importuner quelque peu par les habitants de la région. Son impression se confirme en voyant la crête du Gobou osciller dans tous les sens. Curie avance un peu plus nerveusement, comme à son habitude lorsque leur chemin croise celui d’un Pokémon sauvage. Bailey reporte toutefois son attention sur son interlocutrice qui répond à ses questionnements.

«Je suis certain que vous êtes une excellente infirmière, la preuve vous cherchez à en apprendre plus sur des techniques que vous étaient inconnues.» fait le jeune homme avec sa gentillesse habituelle.

Gentillesse qu’il ne réserve au final qu’aux autres. Lorsqu’il s’agit de lui-même, il se montre immensément plus critique et démesuré dans les reproches qu’il peut se faire. Pourtant, lorsqu’il s’agit des autres, son œil avisé change et il réserve à tous la même attention chaleureuse dont il se prive lui-même.

«Ça fait plaisir. J’étais assez surpris et euh… bon avouons-le je n’ai pas l’habitude du tout de m’improviser mentor, j’espère que c’était cohérent. Au fond, j’apprends beaucoup moi aussi cette semaine, merci de m’en donner l’occasion.»

Bailey observe le Flambino juché sur les épaules de sa dresseuse. Il doit avouer qu’il est plutôt adorable. Au sol, le Phanpy semble trouver son occupation intéressante, car il réclame que son dresseur en fasse autant avec lui. L’infirmier sourcille cependant, avant de faire remarquer à l’éléphanteau qu’il est un peu trop lourd pour rejoindre ses épaules, même s’il est encore très petit. Avec déception, le petit s’éloigne un peu dans les hautes herbes.

«Oh je comprends, vous débutez. Bah écoutez, c’est normal d’apprendre, vous en faites pas, ça va débloquer tout seul. Moi ben… J’ai suivi des études pour devenir infirmier d’abord puis j’ai eu l’occasion de faire un cours au privé en physiothérapie, d’une durée de quelques mois. J’avais envie d’avoir une spécialisation sous le coude comme je… Je n’ai pas réussi à faire médecin Pokémon.»

Les lèvres du jeune homme se pincent avec un regret qui ne paraît pas bien longtemps, puisque majoritairement le garçon a fait la paix avec ce rêve inachevé. Tant qu’il peut soigner, il est heureux. Soudain, un léger cri fait sursauter Bailey : il s’agit de Newton qui n’est nulle part en vue, mais pas bien loin si on se fie à l’appel. Un peu inquiet malgré tout, l’infirmier prend le chemin emprunté par son ami le Phanpy, non sans avoir jeté un regard vers Willow afin de ne pas la perdre. Ce serait fâcheux que de perdre son invitée dans la lande n’est-ce pas ?