Difficile d’évaluer ses propres progrès. À mon sens, nous faisons du sur-place depuis un moment. C’est frustrant.

Mon humeur des derniers temps m’a valu plusieurs démêlées avec proches et connaissances. À croire que personne ne comprend vraiment le feu qui m’anime, la colère que je peux ressentir à l’idée d’être encore et toujours dernière. Le début de la saison du GPR1 n’aide en rien mon ressenti, ni le pressentiment désagréable que Charlie l’emportera encore une fois en me laissant paître dans sa poussière. Cette idée me donne des envies de meurtre. Je déteste perdre par-dessus tout. Rien ne me satisfait plus, à commencer par les efforts mous de mon équipe pour parvenir à nos fins. Les techniciens qui traînent, qui papotent plutôt que de s’attarder à ma voiture, les journalistes qui n’ont de yeux que pour la représentante de Raikou… Personne ne comprend. Je suis la seule à me démener sur la piste comme dans les autres fonctions de ma vie. Mes frustrations récentes m’ont poussé à m’isoler de plus en plus mais ma nature sociable ne peut que me rattraper. À force de scruter mes quatre murs, je vais bien finir par devenir folle. Une sortie me fera du bien, mais choisir la destination s’avère un casse-tête plus complexe que prévu. Des heures durant je considère toutes les avenues avant que la réponse ne s’impose d’elle-même. C’est de Morgan dont j’ai besoin à l’heure actuelle.

Je m’agace d’avance. Je n’aime pas exactement dépendre des autres; cette fois encore je réussis à me convaincre que ce n’est pas par nécessité mais bien par envie que je le visite. L’éleveur est mon pote, avec lui je passerai un bon moment, c’est certain. Non, ce n’est pas parce que je vais devenir cinglée si je ne me livre pas à quelqu’un susceptible de comprendre. Non, bien sûr que non. Ça c’est pour les faibles. Les émotions ça ne sert à rien après tout. Je gare donc ma voiture devant l’élevage et vais toquer à sa porte. Je ne l’ai pas prévenu, mais c’est tant pis. Il me prendra ainsi. J’ai déniché l’excuse parfaite, d’ailleurs. Pour l’occasion j’ai camouflé mon visage de mes lunettes fumées dans l’espoir qu’il ne verra pas à quel point je glisse sur une pente descendante en ce moment. Alors qu’il paraît à la porte, je m’écris avec un sourire faux, pourtant la découverte de ses traits m’amène aussitôt une sorte de frisson de soulagement.

«Il était temps que tu arrives toi ! Ça va Morgan ? Je passais par le coin et j’ai décidé de te faire une petite visite.»

C’est faux. J’ai traversé tout Rhode pour lui payer cette visite. Mais on s’en fiche. Il n’a pas à le savoir. Je libère aussitôt Bilis qui, voyant où il se trouve, se met à battre du pied avec enthousiasme. Le lapin a toujours apprécié se trouver ici, dans son élément.

«Puis Bilis avait hâte de te revoir.»

Ça ce n’est pas si faux. J’ai aussi une surprise pour ce bougre d’éleveur, un oiseau de feu qui devrait lui faire plaisir. Je tiens ce détail pour moi pour l’instant, comme bien des choses je suppose.