Il lui semble être né sous le cri strident des sirènes. Un cri du désespoir dans une nuit trop noire; une autre bouche affamée à nourrir au cœur du ghetto. Au cœur de Volucité, il n’y a jamais de silence, pas même après les coups de feu. Le quartier braille sans cesse, si bien que cet enfant qui expire son premier souffle ne fait qu’ajouter à la cacophonie constante qui règne dans les recoins les plus malfamés de la ville. Bienvenue au monde, Bailey. Dorénavant, tu appartiens à cette existence. Enchaîné à ta réalité. Essaie seulement de lui échapper. Essaie seulement.

Le déséquilibre déjà se creusait entre lui et un autre enfant dont les chances auraient été plus favorables. Sa mère, forcée d’accoucher à la maison par faute de moyens, le tenait en tremblant contre elle, sous l’œil attentif, trop sérieux, de son beau-fils. Le garçon avançait régulièrement la main en direction de son petit frère comme pour s’en emparer. Sa belle-mère s’en méfie. Markus, contrairement à elle, a grandi dans cette cité, il sait très bien ce que représente l’arrivée de ce bébé. Il règne dans ses prunelles sombres un éclat sauvage dont elle se méfie. Un éclat qui s’apaise sitôt on lui remet l’enfant pour que, pour la première fois de sa vie, il tienne son petit frère. Cet éclat cède alors sa place à un amour inconditionnel et un instinct plus fort encore que tout ce qu’il avait vécu jusqu’alors. Ce petit corps mou, désarticulé, encore gonflé d’eau, Markus le tint contre lui, son petit cœur d’enfant déjà écorché par la vie cicatrisant au contact du bébé.

«Il s’appellera Bailey.» déclare l’enfant âgé de sept ans.

Personne n’osa le contredire. Ainsi il était. Markus, d’une manière, l’avait réclamé. Il vivait depuis cinq ans auprès de cette femme, sa belle-mère, une infirmière au caractère tranquille, et son père un ancien professeur qu’un accident avait laissé infirme de bien des manières et surtout accro à la bouteille. Au cœur du ghetto, il n’y avait pas d’accidents, tous le savaient dans la maison mais personne n’osait le questionner sur les véritables circonstances l’ayant mené à cet état : souvent confus, bégayant et atteint de terribles tremblements qui parfois l’empêchaient même de marcher. La seule mention de ses handicaps causait chez lui des colères terribles dont tous se méfiaient. La famille vivait des pauvres revenus de leur mère ainsi que de l’assistance sociale octroyée par le gouvernement d’Unys. À peine de quoi couvrir leurs dépenses. Bailey, à l’instar de Markus avant lui, connut la faim, le froid, la négligence. Son père pourtant, lorsque ses moyens lui permettaient, se montrait le plus chaleureux des pères. Il vaquait à son éducation d’une main ferme mais juste la majorité du temps.

Les autres moments laissaient des marques, la plupart psychologiques, sur cet être trop jeune pour les subir. Markus s’interposait constamment, préférant le rôle de souffre-douleur que celui de témoin. Il protégeait, avec une détermination effarouchée, son frère des sautes d’humeur spectaculaires de leur géniteur. Le gamin avait un caractère bien trempé, décidé, rien ne l’effrayait, y compris cet homme qui pourtant hantait ses cauchemars. Bailey, lui, grandissait dans la plus grande des docilités. Il avait hérité du caractère si doux de sa mère. Il en était d’ailleurs très proche et ne la quittait pas d’une semelle sitôt elle se trouvait à la maison, ce qui en raison de ses longues heures de travail s’avérait assez rare. Tous adoraient ce petit garçon joufflu et plein de vie aux grands yeux verts, ce bambin tranquille et poli. Tous peut-être sauf ceux aveuglés par la haine, ceux qui ne s’arrêtaient qu’à sa couleur de peau métissée en la déclarant impure. À ce sujet il y en avait des deux côtés. Pendant longtemps Bailey n’en eu pas conscience. On tenta, du mieux qu’on le pouvait, de le préserver du vil monde autour de lui.

Markus premier. Sitôt Bailey fut en âge d’être de quelconque intérêt pour les gangs de rue sévissant autour de chez eux, l’aîné se mit en tête de le protéger. Lui-même n’avait pas pu se préserver de cette vie et orchestrait un petit business de vente de substances illicites. On réclamait pourtant le plus jeune Warren avec de plus en plus d’insistance. En grandissant, le cadet se faisait de plus en plus victime de son quartier et des mauvaises conditions de vie : son école n’avait que peu de moyens, il vivait dans la peur constante dès qu’il se trouvait dans la rue et surtout la pauvreté l’affectait plus qu’il ne voulait l’avouer. Il rêvait d’une autre vie, dépourvue de la violence à laquelle il était forcé d’assister au quotidien, loin des sirènes. Sauf qu’il n’est pas si facile de s’élever hors du ghetto et à cet effet il prit rapidement conscience des sacrifices. S’éduquer demandait de l’argent, bien plus qu’il ne pouvait en fournir. Il travaillait à deux endroits différents déjà à seize ans, motivé à réaliser ses objectifs. Alors, ses notes en pâtissaient, l’éloignant des avenues qu’il désirait : devenir médecin Pokémon.

Depuis sa rencontre avec un rescapé des arènes et combats illégaux du bas de la ville, une Gobou nommée Curie, Bailey avait pris goût à soigner les Pokémon. Il prenait l’habitude de les cacher dans son placard et de les nourrir et les soigner en cachette, sous le nez de son père qui ne lui aurait jamais accordé ce caprice. Arrivé à dix-huit ans, il se vit refusé dans toutes les universités où il appliqua. Pourtant, il ne se découragea pas pour autant. À cet âge, il prit un appartement avec sa copine de l’époque Samantha. Il travaillait pour le salaire minimum autant d’heures que son corps lui permettait afin de subvenir à leurs besoins et de placer des sous de côté pour des cours privés. Il n’abandonnait pas son projet de soigner et vit en le métier d’infirmier une alternative intéressante. Toutefois ses plans se retrouvèrent contre-carrés par un autre coup du destin. Le ghetto lui mettait un autre défi sous le nez, un défi de taille. Sam attendait un bébé. Bailey n’avait alors pas même vingt ans, et elle tout juste dix-huit.

Le cœur brisé, le jeune homme dû une fois de plus placer ses espoirs et rêves de côté. Il devint le père dont tous peuvent rêver, à l’exception de sa présence. Son travail l’occupait tant qu’il pouvait passer parfois des jours sans voir sa petite fille, qu’il adorait. Ilona. Il aurait tout fait pour elle. Sauf que ses absences, la jeunesse et leurs conditions difficiles eurent raison du couple qu’il formait avec Sam. Alors Bailey dû adapter son horaire afin d’être avec elle une fin de semaine sur deux, ce qui ne le satisfaisait jamais. Il voulait être auprès d’elle le plus souvent possible. Désespéré, il faillit se tourner vers des chemins moins honorables sans l’intervention de son frère Markus qui, malgré tout, veillait encore sur son jeune frère. La rue l’avait lentement perverti mais il ne démordait pas : son frère en serait épargné si c’était la dernière chose qu’il faisait.

Markus alors lui fit cadeau d’une somme qui, obtenue de manière peu nette, mit Bailey mal à l’aise. Or, il insistait : grâce à elle le cadet pourrait réaliser ses études et avoir une garde plus égalitaire de sa fille. Bailey ne put refuser. Il ne sut jamais d’où cette somme venait de toute manière. Il sut simplement que Markus se trouva incarcéré quelques mois après et détenu depuis. Il se promet qu’un jour il remboursera sa dette envers son frère et qu’il l’aidera à son tour à échapper au ghetto.

Car Bailey a réussi. Grâce aux nombreux sacrifices de Markus, Bailey a complété ses études et convaincu son ex-copine de déménager avec lui ailleurs, à Rhode, pour débuter une nouvelle vie. Ils habitent depuis deux mois dans une maison de Samaragd. Bailey travaille comme infirmier au Centre Pokémon et entretient une petite clinique dans une pièce adjacente à la maison, où il pratique de la physiothérapie et des massages. Son ex-femme l’accompagne dans son business et travaille elle aussi dans la ville. Ilona grandira dans un monde plus sain, se promet-il. Il espère trouver la paix à Rhode, la sainte paix. Et surtout sauver son frère à son tour, lorsqu’il sortira enfin de sa cage.